C’est une histoire très vraie … retravaillée pour en rendre la lecture plus aisée.
J’ai 25 ans quand un ami me prête un livre de Léon Chertok sur l’hypnose thérapeutique.
Je m’entraine à l’auto-hypnose, à l’auto-analgésie.
Dix ans plus tard, je commence une formation à l’hypnose éricksonnienne.
Un grand psychiatre lyonnais – disons le Docteur Jean – décide que j’ai un don et m’envoie un patient, Simon.
J’ai peut-être un don mais aussi la méthode proposée par le Docteur Ernest Rossi dont j’ai traduit un « certain nombre » de pages pour mes camarades psychiatres et psychothérapeutes.
Simon arrive.
Il a les séquelles d’un accident de la route dont il me raconte les grandes lignes.
Je prends des notes.
Je lui propose de faire une mise en scène de la scène traumatique.

J’installe deux chaises réglables côte à côte, décor ressemblant aux deux sièges avant d’un véhicule.
Le patient s’assied à la place du conducteur, moi-même à la place du passager.
Mon dispositif est adapté aux patients droitiers comme gauchers.
Sur chaque accoudoir, il y a un petit interrupteur que l’on peut actionner d’un doigt.
Quand le patient appuie sur un interrupteur, une petite LED s’allume en face de moi.
J’explique le dispositif au patient puis lui propose de se laisser aller, le poids de son corps étant accueilli par la chaise longue.
En amont, Simon a déjà essayé différents modes de thérapie, il a déjà fait un bout du chemin en particulier avec le psychiatre qui lui propose de travailler avec moi.
Il comprend bien ma proposition de travail et joue le jeu que je lui propose.
Moi, parlant d’une voix tranquille, un peu grave :
« Je vous invite à vous remettre dans la situation mentale où vous étiez au début de votre trajet en voiture, le soir de l’accident.
Lorsque vous êtes bien dans cette situation, vous appuyez sur l’interrupteur qui est sous votre index. »
Assez rapidement, le voyant s’allume.
« Bien…Maintenant, vous visualisez votre arrivée au petit pont, lorsque vous y êtes vous appuyez sur l’interrupteur. »
« Puis le petit pont qui se brise en deux lors de votre passage. »
Et ainsi de suite, nous allons revivre ensemble toute cette nuit.
D’une certaine manière, nous sommes trois dans l’aventure.
En effet j’imagine Ernest Rossi qui me rappelle ce que je dois faire.
En particulier, tout au long de la séance, je me synchronise avec précision sur le patient.
Mon corps a, le plus exactement possible, la même position que celui du patient.
J’ai oublié de dire.
Sur un pupitre de musique, j’ai installé un miroir de format A5 qui me permet de voir le patient.
Si ce dernier ouvre un oeil il voir aussi mon visage.
À l’aide du miroir, j’observe sa respiration et respire avec la même vitesse et la même amplitude que lui.
Lorsque le patient parle, je répond en parlant de la même manière que lui, même hauteur, même vitesse, même accent.
Le patient me raconte que la voiture tombe à plat dans le torrent.
Le choc a bloqué les portières.
L’accident se passe au plus fort de l’hiver, l’eau est extrêmement froide.
Le patient ne risque pas du tout la noyade, juste il est dans un bain glacé.
Pendant une heure, puis une autre heure.
Le corps humain peut gérer, jusqu’à un certain point, ce refroidissement.
Le problème est d’avoir des secours qui arrivent avant que l’on ne soit mort de froid.
Le patient me raconte ce qui lui est passé par la tête, phase après phase.
La séance dure plus de deux heures – c’est à dire la durée habituelle qui correspond à un cycle ultradien.
Vers la fin de la séance, le patient me raconte que les secours arrivent, qu’il est mis dans une « chambre froide » à l’hôpital, chambre dont on remonte progressivement la température.
Je raccompagne le patient.
Lorsque la porte claque, je réalise que je suis totalement transi de froid.
Comme si j’avais vécu la même chose que Simon.
Le phénomène s’appelle « prendre le mal ».
Je m’allonge sur une couverture chauffante pendant deux heures, enveloppé dans une couette épaisse de duvet pour arriver à retrouver un état un peu plus normal.
***
Je connais bien le phénomène « prendre le mal ».
Je l’ai vécu lors de séances avec des patients qui viennent pour certains symptômes, en particulier des séquelles de traumatismes. Dans le cas raconté aujourd’hui cela a été simplement plus massif, plus long.
L’intérêt de ce cas est de comprendre que l’exercice de ce métier est totalement incompris en particulier des institutions en charge de la santé publique.
Il faut que je précise que ce patient va très bien, il est entré dans un processus de résilience qui met le traumatisme à une place tout à fait vivable dans sa mémoire.
Les problèmes de cauchemars, de peurs associés au traumatisme ont disparu.
Il faut souligner qu’il y a un avant et un après de cette séance unique.
Avant et après, Simon travaille avec le Docteur Jean.
Pour ce qui est du thérapeute, il y a aussi un avant et un après.
Avant, un long entrainement à l’auto-hypnose, l’expérience d’une extraction dentaire sans anesthésiant.
Après, le travail avec un superviseur.
Pendant la séance je peux prendre des risques parce que je sais que je ne suis pas seul dans l’aventure.
